Un article sur Patrick Weidmann
Emmanuel Grandjean
À l’occasion de artgenève et de la parution de Lunes des porcs ↩ (2016, dasein)
Patrick Weidmann, «un écrivain qui fait de la photographie»
Au salon artgenève, le Centre de la photographie consacre tout son stand à l’artiste genevois qui présente ses deux derniers ouvrages
Patrick Weidmann expose des photographies. Depuis quelques années, il publie aussi des livres. Du coup on hésite: est-il un artiste ou un écrivain? Le Genevois, qui n’a pas le cœur qui balance, a tranché: «Je suis un écrivain qui fait de la photographie.» Très bien, mais chaque chose en son temps.
Car demain soir, Patrick Weidmann sera au salon de l’art contemporain artgenève en version grand format. Le Centre de la photographie Genève lui dédie l’intégralité de son stand. «On m’a confié un box de 4 mètres sur 5 mètres», explique-t-il. «J’ai conçu une sorte d’accrochage avec des œuvres de plusieurs époques. Je montre d’anciens travaux, des photographies nouvelles, mes livres, mais aussi la peinture par où j’ai commencé dans ce métier».
De Warhol à Julie Ordon
Patrick Weidmann a ainsi eu plusieurs vies. Il a été peintre, a fait des films, et puis a tout arrêté pour se consacrer à la photographie qu’il pratique toujours en même temps que l’écriture. Il dit avoir fait le deuil de son attitude de dandy détaché du monde, d’avoir raccroché au vestiaire sa période où il frayait dans les bars des hôtels. Il reste pourtant cette personnalité singulière et attachante dont l’œuvre exprime les obsessions souvent contrariées, et où le sexe tient une part prépondérante «mais toujours avec élégance».
C’est un travail sérieux qui pour être bien fait doit me rappeler mes sensations d’adolescent.
A artgenève, il présente son dernier ouvrage, «Lune des porcs», compilation de petits textes qui parlent des curateurs, de la poésie – «jeune j’aurais voulu être poète maudit, ce que j’ai en quelque sorte réussi» – ou encore de la photographie, des supermarchés, du bottin mondain et de la Costa Brava. «C’est un tutti-frutti joyeux où je raconte ma propre histoire. Davantage que l’art, l’écriture m’apporte une formidable liberté. C’est un travail sérieux qui pour être bien fait doit me rappeler mes sensations d’adolescent. En cela, je reste très dépendant de ma conscience de post-ado incendiaire qui lisait Maurice Blanchot et les suicidés de la société.»
Voici donc 130 pages drôles, expérimentales et impressionnistes où Weidmann raconte l’ambiance à New York, le jour de la mort d’Andy Warhol, ses six mois d’artistes en résidence à Zoug et son rendez-vous manqué avec la mannequin Julie Ordon. «J’avais vu les cartes postales que l’artiste américain Charles Ray avait réalisées avec le top modèle Tatiana Patitz, la star des podiums dans les années 80. J’avais imaginé un projet de série de photos assemblées en accordéon, ce que l’on appelle un leporello. Mais Julie Ordon, que j’avais abordée lors d’un vernissage d’une de mes expositions, n’était pas vraiment intéressée. De toute façon je n’avais pas vraiment le budget pour la payer.»
Invraisemblance du désir
Le recueil est aussi passionnant en ce qu’il récapitule la carrière du Genevois en reproduisant des travaux anciens, mais épatants, que la mémoire avait un peu oublié. Comme ces installations d’objets hétéroclites et ces assemblages de toiles et de chaînes exposés dans les années 1990. «A un moment donné j’ai décidé de me simplifier la vie. Je me cassais la tête à trouver des Christ, des posters et toute une quincaillerie compliquée à réunir. Avec la photographie, j’avais tout à disposition dans le cadre. A cette époque, pas mal d’artistes cherchaient à être pratique et à ne plus s’embarrasser l’existence.»
En photographie, Patrick Weidmann s’est fait une spécialité de mitrailler des images de choses qui brillent. Une sorte de catalogue du dégoût du luxe qui montre en vrac, les enjoliveurs au Salon de l’auto, les courbes équivoques des bains à bulles et les vedettes de cinéma que l’artiste chasse sur la Croisette à chaque Festival de Cannes. Un panorama des invraisemblances du désir qu’il a ensuite exploité à travers l’image pornographique.
En même temps que son livre, il présente au salon de l’art contemporain «Magazine de Charme», fausse revue pour adulte publié par le Centre de la photographie Genève et constituées de reproductions de pages de la presse X qui ont été roulées en boule, puis défroissées jusqu’à obtenir cet aspect d’image au bout du rouleau. Au point qu’on ne reconnaît presque plus rien ni de l’action ni de ces modèles poussés à la nudité par la nécessité. «Pour moi c’est aussi une manière de clore cette série sur laquelle je travaille depuis 10 ans. Je vais maintenant essayer de poursuivre ma démarche sur d’autres types d’images trouvées, mais plus forcément érotiques.» En réunissant du matériel pour «Lune des porcs», l’artiste est tombé sur des pistes intéressantes. «J’ai retrouvé des pubs Sabena que je mixais avec des moteurs de jet et qu’ensuite je rephotographiais. C’était sympathique et ça rendait plutôt bien.»
Patrick Weidmann, Images de charme, stand du Centre de la photographie Genève à artgenève 2016, du 28 au 31 janvier, Palexpo. www.artgeneve.ch.
Emmanuel Grandjean
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